Le vignoble Perse

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Le vignoble Perse

Postby Igal Amsallem » Tue Aug 23, 2005 9:06 pm

Source: Crus et Saveurs

LE VIGNOBLE PERSE : SUR LES TRACES D’UNE FABULEUSE CULTURE VINICOLE

Rendons-nous dans une contrée bien lointaine aux confins du Moyen-Orient sur les premières traces historiques viticoles du monde. Nous partons en Iran sur les traces d’un important vignoble aujourd’hui disparu, du moins quant à sa finalité vinicole.

Avec l’aide d’amis originaires d’Iran, notamment de Shiraz et d’autres régions dont certains ont de la famille qui produisait du vin avant la Révolution islamique, je suis parti sur les traces du vignoble persan. Anciennement appelé Perse, situé entre l’Afghanistan à l’Est, l’Arabie Saoudite, le Koweït, l’Irak et la Turquie à l’Ouest, l’Iran regorge d’un patrimoine aussi bien culturel que viticole extraordinaire.

Malheureusement, après la Révolution islamique en 1979, toute production de vin fut interdite. Ces règlements suivent à la lettre les préceptes du Coran qui interdisent la fabrication et la consommation d’alcool. C’est pour cela que je couvrirai moins de vins à déguster que de culture vinicole.

Après de nombreuses recherches scientifiques, il a été défini que les premières traces de « Culture du vin » sont apparues au Proche Orient à l’époque du Néolithique entre 8500 et 4000 avant Jésus-Christ. Les premières traces d’élaboration du vin remontent entre 5400 et 5000 avant notre ère sur les bords de la Mer Noire à Hajji Firuz Tepe. Comparativement, la culture du vin en Gaule date de 600 avant notre ère.

En 1968 six contenants de neuf litres vieux de 7000 ans dans lesquels se trouvaient des résidus de vin (acide tartrique, tartrate de calcium et de la résine de térébinthe) ont été découverts. La résine était utilisée à l’époque pour conserver le vin.

L’Iran est composé de 30 provinces parmi lesquelles, certaines sont célèbres pour la production de raisins. Citons notamment les provinces de Ghazvin située au Nord-Ouest du pays, Khorasan, Hamedan, Fars, Zanjan et Rezayieh dans l’ouest de l’Azerbaïdjan. Depuis la Révolution islamique, la quasi-totalité des vignobles qui autrefois produisaient du vin a été reconvertie en vignobles de raisins de table et de raisins secs. D’autres vignobles ont été abandonnés ou détruits.

Comme dans d’autres pays du Proche-Orient dans l’Antiquité, le vin produit était un jus de raisin doux nourrissant et le jus de raisin fermenté était plus utilisé à des fins médicales.

Historiquement, c’est sous le règne du roi Jamshid, quatrième monarque de la dynastie Peshdayan de Perse que le vin fût utilisé pour la première fois à titre de médicament. On dit que ce roi aurait vécu 1000 ans. Parallèlement, Noé, père de la vigne qui lui aurait vécu 950 ans, et aurait été le premier homme à planter des vignes et à boire du vin, le roi Jamshid aurait été le premier homme à découvrir le vin.

Un témoignage du Prince Jalal Ooddin Mirza Kajar raconte la découverte du vin par le roi Jamshid. Le roi faisait ses provisions de vin en été pour pouvoir en boire l’hiver. Il demanda à faire remplir une énorme jarre de jus de raisin qui, au cours des mois suivants, se mit à fermenter. Goûtant le jus fermenté, le roi Jamshid pensa que le jus se transforma en poison et ordonna que la jarre soit placée dans une pièce du palais royal inaccessible à toute personne.

Une servante du palais qui était alors en mauvaise santé apprit l’histoire de ce poison et voulant se suicider pour mettre un terme à ses douleurs, elle accéda à la pièce où se trouvait la jarre. Elle but une bonne dose et se rendit compte qu’au lieu de la tuer, le vin la transporta dans un sommeil qui la guérit par la suite. Elle en rendit compte au roi qui fut très agréablement surpris de la nouvelle. C’est à partir de ce moment que le roi et sa cour commencèrent à boire ce vin à l’occasion des fêtes et de diverses célébrations.
Le vin fut alors surnommé « Shah daroo », le vin royal, car c’est le roi qui l’avait découvert. Encore aujourd’hui, le vin est encore appelé en Iran « Zeher-i-khosh », le poison agréable en souvenir du roi Jamshid.

Ce n’est qu’un épisode historique parmi bien d’autres qui se succédèrent à travers les nombreuses dynasties royales que connut l’Empire de Perse. Tantôt maudit et banni, tantôt adulé et consommé en grandes quantités, le vin a traversé les âges, les guerres, les conquêtes, de Cyrus à Alexandre le Grand. Sous l’Antiquité grecque, Hérodote, Xénophon et Platon firent aussi l’apologie du vin en Perse, chacun apportant une vision personnelle et une interprétation propre.

L’Iran produit 1,970 millions de tonnes de raisins annuellement et exporte 85,000 tonnes de raisins frais et 90,000 tonnes de raisins secs.

Nous retrouvons une quarantaine de variétés de raisins en Iran dont certains ont dû servir à l’élaboration de vins autrefois. Tous les raisins sont répertoriés en trois catégories : raisins verts (Angur Sabzeh), « raisins riz » et raisins secs (Angur Lorkesh). Les raisins verts et les raisins riz sont obtenus à partir de raisins sans pépins alors que les raisins secs communs proviennent de raisins à pépins.

Concernant les raisins qui servirent à l’élaboration du vin, le mystère plane toujours quant au fait de savoir s’il s’agissait de raisins issus de la Vitis Vinifera Sylvestris (raisin sauvage) ou le raisin domestiqué que nous connaissons, Vitis Vinifera.

Citons quelques variétés de raisins que nous trouvons actuellement en Iran : Bidaneh Sefid (raisin blanc sans pépin), Bidaneh Ghermez (raisin rouge sans pépin), Asgari, Yaghuti (Rubis rouge), Shahroudi, Shahani, Hosseini, Khalili, Peykani et Sorkh fakhri. Lorsqu’on pense à l’Iran et le vin, notre pensée s’oriente vers le shiraz. Shiraz, la ville située dans le sud-ouest du pays, n’est nullement à l’origine du cépage appelé aussi syrah qui tirerait plutôt ses origines dans la vallée du Rhône.

Toutefois, la région de Shiraz a été une région viticole importante sous l’Antiquité et sa célébrité aurait certainement influencé l’appellation shiraz dans les pays anglophones, notamment l’Australie, grand producteur de ce cépage.

Revenons un instant sur la région de Ghazvin. Troisième région viticole d’importance avec ses 35,000 hectares de vignobles après les régions de Fars et de Khorasan, Ghazvin produit parmi les meilleurs raisins de qualité en Iran. La tradition viticole est ancrée parmi la population depuis des siècles et c’est pourquoi, chaque année à la fin des vendanges, un festival du raisin qui s’appelle Jashn-e-Angur (le festival du raisin) est organisé, un peu comme la Paulée de Meursault version iranienne!

Au 10e siècle, un célèbre géographe et auteur persan décrivait Ghazvin comme une grande province pleine de vignobles. Le terroir dans cette région est très fertile et favorable à la culture des meilleurs raisins d’Iran. Une des variétés de raisins locaux s’appelle Shahaneh qui signifie « Destinée aux rois », ce qui démontre l’excellente qualité de ce fruit.

Le vin écrit par deux grandes figures emblématiques de Perse

L’éloge du vin par Omar Khayyam

Véritable figure emblématique vinicole persane, Omar Khayyam est natif de la province de Khorasan (10e siècle). Poète, philosophe, humaniste et mathématicien, Omar Khayyam est le plus célèbre des poètes persans grâce à ses quatrains connus sous le nom de Rubbayaat, Rubba’i au singulier. Il en écrivit 42 au cours de sa vie. Ses poèmes sont célèbres de par le monde et ont circulé dans tout l’occident. Pour l’anecdote, le manuscrit original des Rubbayaat repose par 4000 mètres de fond avec le Titanic et il n’a jamais été retrouvé.

La célébrité internationale des Rubbayaat s’est développé lorsqu’aux États-Unis, il a été établi que la poésie d’Omar Khayyam était un des plus beaux éloges de l’épicurisme sur terre. Khayyam a acquis la réputation de faire systématiquement l’éloge du vin dans ses poèmes et est devenu une référence marketing du vin pour de nombreux commerces et restaurants en occident.

À travers ses Rubbayaat, Omar Khayam présente deux contrastes : d’une part des images de la vie et du plaisir (lumière, vin, fleurs, gazon, le rossignol) et d’autre part il présente la mort, la destruction (ténèbres, poussière, cadavres). Khayam n’offre nulle autre solution que de vivre le jour présent. Voici une traduction d’une Rubba’i faisant l’éloge du vin.

Rubba’i Nº 6
And David's Lips are lock't; but in divine
High piping Pehlevi, with "Wine! Wine! Wine!
"Red Wine!"---the Nightingale cries to the Rose
That yellow Cheek of hers to incarnadine.

Tercet final des Rubbayaat
It is us, the wine, the music, and this run-down corner;
Our flesh and heart, the wine glass, and our cloths,
all filled with the desire for wine.



L’amour et le vin par Hafez

Poète du 14e siècle originaire de Shiraz, Shamseddine Mohammad Hafez, plus connu sous le nom d’Hafez est à l’Iran ce que Shakespeare est à l’Angleterre. Véritable idole de la poésie, Hafez est réputé connaître le Coran par cœur et vouer un amour aveugle au vin.

Tout comme son prédécesseur Omar Khayam, Hafez fait l’éloge du vin, de l’amour dans son œuvre intitulée Divan ou Œuvres poétiques. On peut se questionner comment de si grandes figures de la littérature persane ont conservé cette célébrité alors que le Coran interdit la consommation de boissons alcoolisées. Il s’agit en fait de l’apologie de l’être aimant et de l’être aimé à travers la nature et les plaisirs de la vie. Voici deux extraits de ses poèmes.

Take wine, be joyful and come!
Unknown to your mean guardian, persist and come!
Don’t listen to the words of the enemy saying: ‘Sit down and don’t go!’
Listen to my subtle saying: ‘Arise and come!
……….

And the red wine remember, and the rose,
And the old cry at dawn, the stream that ran,
In Paradise no sweeter river flows,
Through banks of gardens on to Ispahan,
Yes! the red wine remember, and the rose.


Nous pourrions ainsi parler poésie durant des heures et méditer les pensées de Khayam et d’Hafez autour d’un bon verre de vin sous une tonnelle aux vignes grimpantes et aux grappes de raisin pendantes, à l’ombre du soleil et voyager dans l’infini de notre imagination remettant en question notre existence sur terre. C’est ce que Khayam et Hafez proposent aux lecteurs de leur poésie respective. Ainsi, j’invite tous ceux et celles qui aiment la poésie et le vin à découvrir ou de mieux connaître ces deux grands poètes à travers leurs fabuleuses œuvres.

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Igal Amsallem, sommelier
Ambiance Vins
www.ambiancevins.com
Igal Amsallem
 

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