ALEXANDER BARD
Posted: Thu Feb 02, 2006 11:06 am
Interview avec Alexander BARD dans "la spirale.org"
Alexander Bard est-il le prototype de la nouvelle génération de philosophes ? Rompu aux arcanes de la pop-culture, sans complexe face aux révolutions technologiques, converti au zoroastrisme et volontiers provocateur, il joue les aliens dans un paysage intellectuel somnolent. Ce suédois, bien connu des amateurs de techno-rock en tant qu’artiste, compositeur et producteur, pour ses collaborations avec Army of Lovers, Alcazar, Vacuum, Stakka Bo ou les Cardigans, fut aussi le cofondateur de Stockholm Records, la plus grosse maison de disques indépendante de Scandinavie. Aujourd’hui, il secoue le prunier de la philosophie universitaire en publiant avec Ian Soderqvist "Netocracy : The New Power Elite And Life After Capitalism". En Grande-Bretagne, le titre est monté, avant même sa sortie en traduction anglaise, jusqu’à la 11ème place du top 100 d’Amazon UK. Propos recueillis par Rémi Sussan.
Quelle est votre expérience des médias et des réseaux ?
J’ai une formation universitaire en géographie économique, mais j’ai élargi mes compétences à la philosophie et à la sociologie. Aujourd’hui, j’écris des livres et je donne régulièrement des conférences à l’Ecole d’Economie de Stockholm. En Scandinavie, les départements de philosophie craignent ou paient mal.
Quand je ne travaille pas, je voyage en des lieux exotiques, je fais la fête et j’élève des chevaux de courses. J’ai aussi tendance à coucher avec tout ce qui bouge.
Pensez-vous que votre passé dans la Rock music ait influencé sur votre recherche ? Votre démarche converge-t-elle avec celle de beaucoup de musiciens de rock, qui se dirigent vers une forme de réflexion philosophique, de John Perry Barlow* à Brian Eno**, sans parler de ***Howard Bloom ?
D’abord, l’industrie musicale est incroyablement stupide. Ce n’est vraiment pas un endroit où l’on peut s’attendre à rencontrer le moindre intellectuel, bien que de nombreuses rockstars aiment à se considérer comme des créatures intelligentes. C’est le cas de Brian Eno, (qui l’est effectivement) et de son copain Bono (qui ne l’est pas). Entre la philosophie et le rock, la philosophie a toujours été ma principale préoccupation. Je savais que je finirais par être un philosophe et un écrivain.
Mais on ne peut se livrer à la philosophie de manière crédible avant d’avoir atteint la quarantaine. J’ai commencé à 39 ans, donc assez jeune. J’ai décidé de m’immerger dans la culture populaire pour l’étudier de l’intérieur, car elle joue un rôle fondamental dans la société contemporaine et donne à notre époque ses principales caractéristiques. Je peux utiliser un grand nombre des découvertes que j’ai fait au sein de la pop culture dans mon travail philosophique, comme par exemple le concept très original de dynamique des réseaux que nous présentons dans "Netocracy".
Qu’est ce que la Netocratie ? Comment fonctionne-t-elle ?
"Netocratie" est le premier travail philosophique à prendre au sérieux l’idée d’une société de l’information et à expliquer ce qu’est une telle société et comment elle diffère des autres types de civilisations.
Notre société, que nous appelons informationaliste, est, comme toutes les autres, une société de classes. Or, nous avons désespérément besoin d’une nouvelle analyse remplaçant celle de Karl Marx datant des années 1840. L’analyse marxiste définit le prolétariat par opposition à la bourgeoisie. Dans notre théorie informationaliste, le consumatariat s’oppose à la netocratie. La principale différence entre le netocrate et le consumatarien tient à ce que le premier a les moyens et les possibilités de produire sa propre identité. Le consumtarien n’a d’autre choix que faire son marché parmi les identités qui ont été produites pour lui.
La société informationaliste est attentionaliste : elle est obsédée par l’identité plutôt que par l’argent ou les moyens de production. Ce qui explique que le contrôle de la production de l’identité se trouve au centre des conflits de classe. Sachant cela nous avons besoin d’une nouvelle méthode que nous appelons sociométrie pour remplacer l’économie.
La naissance de la Netocratie est-elle due à des facteurs purement technologiques, comme l’Internet ? Ou s’agit-il d’un changement de paradigme plus global ?
Tout doit toujours être redéfini lors d’un changement de paradigme, y compris l’ensemble de l’histoire humaine. Dans "Netocracy", nous réécrivons l’histoire en fonction du développement des technologies de l’information. La chasse et la cueillette sont liées à la parole, la féodalité à l’écriture, la capitalisme à l’imprimerie. L’informationalisme, commençant à partir des années 70, correspond aux médias interactifs, dont le téléphone portable et l’Internet ne sont que les premiers exemples.
Au final, toute technologie deviendra interactive, car c’est ce que nous attendons de nos gadgets en tant qu’utilisateurs et consommateurs. Les effets globaux de l’interactivité seront le sujet de notre prochain livre qui devrait paraître en suède en 2002, puis, nous l’espérons, traduit en anglais et en français vers 2003.
Pouvez vous nous décrire les différentes classes de netocrates : curateurs, nexialistes, éternalistes …
Je n’utiliserais pas ici le terme de "classe", mais plutôt "type" ou "subdivision". Tout ordre social repose sur une structure sociale tripolaire. Le féodalisme se basait sur l’interaction et l’équilibre entre la monarchie, l’aristocratie et l’église. Le capitalisme a privilégié les rapports entre l’état nation, la bourgeoisie et l’université. Pendant l’ère informationaliste, nous verrons aussi se développer trois pôles de pouvoir dont l’équilibre permettra de maintenir la stabilité de la société. C’est ce que nous nommons dans "Netocracy" : les curateurs, les nexialistes et les éternalistes.
Les curateurs trient et classifient l’information, une source énorme de pouvoir, parce que c’est ce traitement qui sera la ressource la plus rare et la plus recherchée de la société informationaliste. Les nexialistes sont les producteurs d’informations, et apparaissent comme les esthètes de cet âge extrêmement esthétique et les figures centrales des réseaux tout puissants. Les éternalistes tirent leur nom du concept nietzschéen de l’éternel retour. Le netocrate correspond en effet assez bien à la figure historique du surhomme nietszchéen. L’éternaliste est le producteur post-nihiliste de vérité, qui organise la meta-information sur laquelle la netocratie base son pouvoir. Je suppose qu’on pourrait dire que mon co-auteur Söderqvist et moi-même sommes les premiers d’une longue lignée d’éternalistes.
Quels sont les liens entre la netocratie et la capitalisme traditionnel ? Qu’en est il de la production des biens matériels ?
Elle est bien sûr toujours présente, mais économiquement et culturellement réduite à un rôle marginal. Une situation analogue à ce qui s’est passé pour la production de nourriture, lors du passage de la féodalité au capitalisme. L’histoire se répète voyez-vous. C’est un point central des théories présentées dans Netocracy.
Quelle différence entre votre "netocratie" et la "nouvelle économie" chantée par Kevin Kelly de Wired qui a pour slogan "Ce qui compte n’est plus ce que vous savez mais qui vous connaissez" ? Considérez vous le Global Business Network, ou les "digerati" de John Brockman, comme des exemples de netocratie ?
Je verrais plutôt le Global Business Network comme une dernière tentative de la bourgeoisie pour conserver son pouvoir déclinant. Les réseaux ne fonctionneront pas comme Kevin Kelly semble le penser. Sociologiquement, il est largement préférable d’étudier comment des réseaux interactifs sont construits par les adolescents avides de Finlande ou du Japon, que se pencher sur la manière dépassée dont des quinquagénaires californiens organisent leur cocktails. Les vrais réseaux informationalistes divergeront des thèses de Brookman et Kelly de façon choquante. Du reste, nous ne devrions pas compter sur l’Amérique pour offrir des idées nouvelles sur ce sujet. C’est au marges du vieux monde et non au centre, où se trouvent les USA, que les nouvelles techniques de pouvoir apparaîtront pour la première fois.
A quoi ressembleront les réseaux de la société future ?
Nous appelons ces réseaux des "tribus virtuelles nomades". Elles sont un exemple de primitivisme technologique : comment l’homme, lorsqu’il en a la chance, retourne à ses origines de chasseur cueilleur, à la vie humaine telle qu’elle aurait existé avant l’apparition des sociétés féodales et de la sédentarisation ? C’est exactement ce qui arrive aujourd’hui, lorsque les gamins utilisent des téléphones cellulaires et des ordinateurs d’une manière complètement différente de celle de leur parents capitalistes.
La grande fracture générationnelle, aujourd’hui, n’est plus comme dans les années 60 et 70 due aux valeurs mais aux comportements. Le changement profond des valeurs interviendra plus tard, comme résultat du changement de comportement, et non de vision du monde. Les tribus virtuelles nomadiques se développent plus vite et plus intensément aux marges de notre société. C’est le cas avec les scènes gay ou queer, dans les communautés structurées autour de la musique, mais plus encore au sein des cultures souvent criminalisées de la drogue et des gangs de jeunes. Tout le monde aujourd’hui peut se procurer un portable et un petit ordinateur.
C’est donc surtout parmi ceux qui peuvent difficilement s’offrir autre chose, que cette culture tribale nomadique et virtuelle décolle. Les "outsiders", ceux qui bougent, (donc les nomades) ont toujours bénéficié des changements de paradigmes au cours de l’histoire. C’est une des thèses centrales de "Netocracy".
Quel est votre diagnostic sur l’échec des dot.com et de la nouvelle économie ?
"Netocracy" a gagné la réputation d’être peut-être le seul ouvrage à avoir prédit le crash des dot.com et dénoncé la superficialité de la nouvelle économie. Par chance, nous n’avons jamais été associés à ces termes, quoique je dirige personnellement trois dot.com qui se portent pour le mieux et font des profits, merci ! Dans un registre moins gai pour l’humanité, "Netocracy" avait également prévu l’avènement du réseau Al Qaida. Les autres prophéties contenues dans notre livre attendent leur réalisation.
Quel sera le destin des nations non connectées, celles du tiers monde ?
Nous refusons de penser le monde comme constitué de différents pays. Si l’Etat Nation est réellement mort, nous n’allons certainement pas continuer à diviser le monde en états nations ou en régions géographiques ou cultures comme si c’était encore important. L’informationalisme ne tient pas compte de ces divisions. De la même manière, nous refusons de parler de différents individus et de leurs idées dans "Netocracy". Nous pensons que l’individu est mort avec le capitalisme et qu’il est maintenant remplacé par le "dividu", le netocrate en réseau. Nous avons en fait emprunté le mot "dividu" au philosophe français Gilles Deleuze qui figure parmi nos penseurs favoris.
Qu’en est-il de l’individu dans la société future ?
Nous pensons que l’individu est mort avec le capitalisme. Il est maintenant remplacé par le "dividu", le netocrate immergé dans les réseaux. Nous avons en fait emprunté le terme "dividu" au français Gilles Deleuze.
Un individu est un objet indivisible, tandis qu’un "dividu" peut être séparé en différents éléments, puis réassemblé pour former de nouvelles structures. Nous ne sommes plus des êtres "individuels", mais des dividus existant dans des contextes sociaux différents. Et, plus important, nous avons arrêté d’essayer d’être constamment "toujours le même", fidèle à notre "véritable moi". Au contraire, nous nous délectons à apparaître différents selon les contextes. Nous avons abandonné l’idéal de la personnalité "monopsychique" pour lui préférer celui de la personnalité "schizoïde". Nous chercherons désormais des consultations en schizanalyse plutôt qu’en psychanalyse.
C’est la mort sociologique du sujet cartésien. L’individualisme est propre aux classes sociales défavorisées sous le règne de l’informationalisme. Le netocrate est dividualiste, parce qu’entre l’Individu et le Réseau, il choisira toujours le Réseau. Donc l’objet atomique, le socle cosmique de la société informationaliste est le Réseau et NON l’Individu, comme c’était le cas dans le paradigme cartésien capitaliste. L’individu est donc obligé de se développer en dividu.
Que pensez vous de la nouvelle gauche, par exemple, des thèses développées par Negri dans "Empire", par exemple ?
Je hais "Empire". C’est un si mauvais livre ! Mal écrit, avec une analyse minimale quand elle n’est pas complètement fausse. "Empire" n’est rien d’autre que de l’opium populiste, de la stupidité New Age. Personnellement, j’ai dépassé l’ancienne division gauche-droite. Elle ne fait plus de bien à personne. La gauche restera une vieille gauche de toute façons, tant qu’elle ne se sera pas débarrassé de ses utopismes proto-chrétiens. La seule radicalité à exister réellement est le pragmatisme radical. Il n’existe rien de plus radical que refuser de fuir devant le réel et se confronter au monde tel qu’il est, et non tel qu’on aimerait qu’il soit. Nietszche etait mille fois plus radical que Marx, voyez vous.
Lire "Empire" m’a laissé une sensation de vide et de colère, à cause de ses prétentions et de ses promesses non réalisées. Notre prochain livre montrera de quelle manière le concept d’empire peut et doit être utilisé. Il nettoiera le sol des tentatives malheureuses de ce genre. Dieu que je hais Rousseau ! Il est le pire poison qui ait jamais intoxiqué la philosophie. Revenons plutôt aux véritables philosophes, à Nietszche, à Heidegger. C’est à partir de là que nous pourrons bâtir. Les seuls philosophes décents du XXème siècle à l’avoir compris sont Deleuze et Lacan. Et, parmi les contemporains, le seul qui compte à mes yeux est Slavoj Zizek. La gauche devrait l’écouter plus.
En dehors du champ de la communication, quelle est votre opinion sur les révolutions se produisant actuellement dans d’autres domaines, en biotechnologie par exemple ? Comment réagissez vous à la position très négative de philosophes comme Francis Fukuyama aux USA ou Paul Virilio en France ? La netocratie fournit-elle un socle théorique pour penser les révolutions biologiques ?
Fukuyama et Virilio sont juste de vieux raseurs bourgeois qui défendent des valeurs bourgeoises, datées et mourantes. Ils sont comme les théologiens chrétiens qui rouspétaient et se plaignaient de l’avènement des Lumières au XVIIème siècle. Nous avons besoin de nouvelles Lumières en ce moment historique, ce changement de paradigme au cours duquel les memes prennent finalement la place des gènes. Il s’agirait de Lumières transrationalistes plutôt que simplement rationalistes. J’espère que Sodverquist et moi faisons partie de ce nouveau mouvement.
Je n’ai pas de point de vue négatif ou positif en ce qui concerne la révolution transhumaniste. Je ne crois pas que ce type de jugement de valeur soit encore crédible. Le transhumanisme va arriver. Il est inévitable. Et, comme toujours lors d’un tel changement historique, il sera considéré comme positif par ceux qui en profiteront et négatif par les autres. De vieux emmerdeurs comme Virilio ou Fukuyama ont bien sûr tout à y perdre. Ils ne font qu’exprimer leur intérêt propre. Pourquoi s’ennuyer à les écouter ? Virilio est même catholique. Soyons sérieux !
Qu’est ce que l’éternalisme ? Le mobilisme ? Quelles sont leurs relations et leurs liens avec la netocratie ?
Oh là ! Les définitions de l’éternalisme et du mobilisme figureront dans notre prochain livre et cela prendra à peu près 500 pages pour tout expliquer dans le détail.
Fondamentalement nous sommes des penseurs "paradoxistes", comme Lacan et Deleuze, et nous voyons la nécessité d’introduire un nouveau dualisme en philosophie.
Fondamentalement, nous empruntons cette nouvelle division dialectique à la physique, à la différence entre les mécaniques classique et quantique. Le mobilisme traite du monde tel qu’il est, l’éternalisme du monde tel qu’il est perçu et compris par nous autres, êtres humains, ou par n’importe quelle autre créature pensante d’ailleurs. En cela Kant avait vu juste, phénomènes et noumènes sont deux choses différentes. Et cette division reflète la relation fondamentale entre le mouvement (devenir) et la stabilité (être). Nous partons d’Heidegger, puis nous essayons d’aller plus loin.
Quelle est la relation entre l’éternaliste, en tant que catégorie de netocrate, et l’éternaliste en tant que philosophe ?
Il n’y a pas de distinction. Et cela devrait provoquer pas mal de réactions. En tant que philosophes, Soderqvist et moi ne pensons pas parler comme des individus. Nous nous contentons d’affirmer ce qui doit, de toutes façons, être affirmé. Nous sommes les voix du pouvoir que nous analysons. C’est ce que les philosophes ont toujours été. Il n’existe pas d’extérieur à l’hégémonie, comme tant de romantiques l’ont cru sans jamais pouvoir le prouver. Il n’y a pas d’alternative crédible à la philosophie que nous conduisons. L’éternalisme en tant que philosophie ne peut être distingué de l’éternalisme comme production de vérité au sein de l’ordre social informationnel. Ils sont une seule et même chose.
Y a-t-il un modèle historique propre à l’éternalisme et au mobilisme ? Vous avez écrit une fois : "l’éternalisme voit l’histoire comme une succession de singularités." Y a t-il un lien avec la version "transhumaniste" de la Singularité ?
Les changements de paradigme ont lieu quand la technologie de l’information dominante se voient remplacer par une autre. A ce moment, notre vision du monde est altérée jusque dans ses fondations. C’est ce que provoque l’avènement actuel de l’interactivité. La plurarchie remplace la démocratie, le dividualisme l’individualisme, les memes, le sujet cartesien, les réseaux se substituent à l’Homme, etc.
Du transhumanisme, je dirais qu’il s’agit d’un mouvement social et non d’une idéologie. Je refuse de traiter de tout concept philosophique possédant l’appellation transhumaniste. Il n’existe pas de singularité objectivement vraie, pas plus qu’il n’existe d’être humain objectivement vrai. Pour moi, l’homme est toujours Singe, et le Singe est toujours Fourmi. Tout est question de distance et de perspective. En tant que géographe économique, voyez-vous, j’ai été entraîné à voir les êtres humains sur des images satellites, et de ce point de vue, nous ne sommes rien sinon des fourmis. C’est sain de nous voir de cette manière.
Vous êtes converti au zoroastrisme. Pourquoi ?
Zarathoustra a été le premier éthiciste de l’histoire, lorsqu’il est apparu en Asie centrale il y a plus de 3700 ans. Il fut probablement le penseur et philosophe le plus intelligent ayant jamais existé, avec la possible exception de Nietzsche. Puisque je suis sa tradition, il était normal que je me convertisse et devienne zoroastrien. La seule et unique raison pour laquelle nous considérons le zoroastrisme comme une religion tient au fait que nous autres européens, qui possédons actuellement l’hégémonie, insistons sur l’idée que nos frères grecs ont inventé la philosophie. La vérité est que les iraniens ont enseigné aux grecs pratiquement tout ce que nous avons attribué à ces derniers, qui ont eu la chance de voir leur littérature conservée. Nous devons reconnaître que l’Europe est un nouveau venu dans le concert des civilisations. Que nos racines sont ailleurs. Cela fait partie de notre maturation, je suppose.
Alexander Bard est-il le prototype de la nouvelle génération de philosophes ? Rompu aux arcanes de la pop-culture, sans complexe face aux révolutions technologiques, converti au zoroastrisme et volontiers provocateur, il joue les aliens dans un paysage intellectuel somnolent. Ce suédois, bien connu des amateurs de techno-rock en tant qu’artiste, compositeur et producteur, pour ses collaborations avec Army of Lovers, Alcazar, Vacuum, Stakka Bo ou les Cardigans, fut aussi le cofondateur de Stockholm Records, la plus grosse maison de disques indépendante de Scandinavie. Aujourd’hui, il secoue le prunier de la philosophie universitaire en publiant avec Ian Soderqvist "Netocracy : The New Power Elite And Life After Capitalism". En Grande-Bretagne, le titre est monté, avant même sa sortie en traduction anglaise, jusqu’à la 11ème place du top 100 d’Amazon UK. Propos recueillis par Rémi Sussan.
Quelle est votre expérience des médias et des réseaux ?
J’ai une formation universitaire en géographie économique, mais j’ai élargi mes compétences à la philosophie et à la sociologie. Aujourd’hui, j’écris des livres et je donne régulièrement des conférences à l’Ecole d’Economie de Stockholm. En Scandinavie, les départements de philosophie craignent ou paient mal.
Quand je ne travaille pas, je voyage en des lieux exotiques, je fais la fête et j’élève des chevaux de courses. J’ai aussi tendance à coucher avec tout ce qui bouge.
Pensez-vous que votre passé dans la Rock music ait influencé sur votre recherche ? Votre démarche converge-t-elle avec celle de beaucoup de musiciens de rock, qui se dirigent vers une forme de réflexion philosophique, de John Perry Barlow* à Brian Eno**, sans parler de ***Howard Bloom ?
D’abord, l’industrie musicale est incroyablement stupide. Ce n’est vraiment pas un endroit où l’on peut s’attendre à rencontrer le moindre intellectuel, bien que de nombreuses rockstars aiment à se considérer comme des créatures intelligentes. C’est le cas de Brian Eno, (qui l’est effectivement) et de son copain Bono (qui ne l’est pas). Entre la philosophie et le rock, la philosophie a toujours été ma principale préoccupation. Je savais que je finirais par être un philosophe et un écrivain.
Mais on ne peut se livrer à la philosophie de manière crédible avant d’avoir atteint la quarantaine. J’ai commencé à 39 ans, donc assez jeune. J’ai décidé de m’immerger dans la culture populaire pour l’étudier de l’intérieur, car elle joue un rôle fondamental dans la société contemporaine et donne à notre époque ses principales caractéristiques. Je peux utiliser un grand nombre des découvertes que j’ai fait au sein de la pop culture dans mon travail philosophique, comme par exemple le concept très original de dynamique des réseaux que nous présentons dans "Netocracy".
Qu’est ce que la Netocratie ? Comment fonctionne-t-elle ?
"Netocratie" est le premier travail philosophique à prendre au sérieux l’idée d’une société de l’information et à expliquer ce qu’est une telle société et comment elle diffère des autres types de civilisations.
Notre société, que nous appelons informationaliste, est, comme toutes les autres, une société de classes. Or, nous avons désespérément besoin d’une nouvelle analyse remplaçant celle de Karl Marx datant des années 1840. L’analyse marxiste définit le prolétariat par opposition à la bourgeoisie. Dans notre théorie informationaliste, le consumatariat s’oppose à la netocratie. La principale différence entre le netocrate et le consumatarien tient à ce que le premier a les moyens et les possibilités de produire sa propre identité. Le consumtarien n’a d’autre choix que faire son marché parmi les identités qui ont été produites pour lui.
La société informationaliste est attentionaliste : elle est obsédée par l’identité plutôt que par l’argent ou les moyens de production. Ce qui explique que le contrôle de la production de l’identité se trouve au centre des conflits de classe. Sachant cela nous avons besoin d’une nouvelle méthode que nous appelons sociométrie pour remplacer l’économie.
La naissance de la Netocratie est-elle due à des facteurs purement technologiques, comme l’Internet ? Ou s’agit-il d’un changement de paradigme plus global ?
Tout doit toujours être redéfini lors d’un changement de paradigme, y compris l’ensemble de l’histoire humaine. Dans "Netocracy", nous réécrivons l’histoire en fonction du développement des technologies de l’information. La chasse et la cueillette sont liées à la parole, la féodalité à l’écriture, la capitalisme à l’imprimerie. L’informationalisme, commençant à partir des années 70, correspond aux médias interactifs, dont le téléphone portable et l’Internet ne sont que les premiers exemples.
Au final, toute technologie deviendra interactive, car c’est ce que nous attendons de nos gadgets en tant qu’utilisateurs et consommateurs. Les effets globaux de l’interactivité seront le sujet de notre prochain livre qui devrait paraître en suède en 2002, puis, nous l’espérons, traduit en anglais et en français vers 2003.
Pouvez vous nous décrire les différentes classes de netocrates : curateurs, nexialistes, éternalistes …
Je n’utiliserais pas ici le terme de "classe", mais plutôt "type" ou "subdivision". Tout ordre social repose sur une structure sociale tripolaire. Le féodalisme se basait sur l’interaction et l’équilibre entre la monarchie, l’aristocratie et l’église. Le capitalisme a privilégié les rapports entre l’état nation, la bourgeoisie et l’université. Pendant l’ère informationaliste, nous verrons aussi se développer trois pôles de pouvoir dont l’équilibre permettra de maintenir la stabilité de la société. C’est ce que nous nommons dans "Netocracy" : les curateurs, les nexialistes et les éternalistes.
Les curateurs trient et classifient l’information, une source énorme de pouvoir, parce que c’est ce traitement qui sera la ressource la plus rare et la plus recherchée de la société informationaliste. Les nexialistes sont les producteurs d’informations, et apparaissent comme les esthètes de cet âge extrêmement esthétique et les figures centrales des réseaux tout puissants. Les éternalistes tirent leur nom du concept nietzschéen de l’éternel retour. Le netocrate correspond en effet assez bien à la figure historique du surhomme nietszchéen. L’éternaliste est le producteur post-nihiliste de vérité, qui organise la meta-information sur laquelle la netocratie base son pouvoir. Je suppose qu’on pourrait dire que mon co-auteur Söderqvist et moi-même sommes les premiers d’une longue lignée d’éternalistes.
Quels sont les liens entre la netocratie et la capitalisme traditionnel ? Qu’en est il de la production des biens matériels ?
Elle est bien sûr toujours présente, mais économiquement et culturellement réduite à un rôle marginal. Une situation analogue à ce qui s’est passé pour la production de nourriture, lors du passage de la féodalité au capitalisme. L’histoire se répète voyez-vous. C’est un point central des théories présentées dans Netocracy.
Quelle différence entre votre "netocratie" et la "nouvelle économie" chantée par Kevin Kelly de Wired qui a pour slogan "Ce qui compte n’est plus ce que vous savez mais qui vous connaissez" ? Considérez vous le Global Business Network, ou les "digerati" de John Brockman, comme des exemples de netocratie ?
Je verrais plutôt le Global Business Network comme une dernière tentative de la bourgeoisie pour conserver son pouvoir déclinant. Les réseaux ne fonctionneront pas comme Kevin Kelly semble le penser. Sociologiquement, il est largement préférable d’étudier comment des réseaux interactifs sont construits par les adolescents avides de Finlande ou du Japon, que se pencher sur la manière dépassée dont des quinquagénaires californiens organisent leur cocktails. Les vrais réseaux informationalistes divergeront des thèses de Brookman et Kelly de façon choquante. Du reste, nous ne devrions pas compter sur l’Amérique pour offrir des idées nouvelles sur ce sujet. C’est au marges du vieux monde et non au centre, où se trouvent les USA, que les nouvelles techniques de pouvoir apparaîtront pour la première fois.
A quoi ressembleront les réseaux de la société future ?
Nous appelons ces réseaux des "tribus virtuelles nomades". Elles sont un exemple de primitivisme technologique : comment l’homme, lorsqu’il en a la chance, retourne à ses origines de chasseur cueilleur, à la vie humaine telle qu’elle aurait existé avant l’apparition des sociétés féodales et de la sédentarisation ? C’est exactement ce qui arrive aujourd’hui, lorsque les gamins utilisent des téléphones cellulaires et des ordinateurs d’une manière complètement différente de celle de leur parents capitalistes.
La grande fracture générationnelle, aujourd’hui, n’est plus comme dans les années 60 et 70 due aux valeurs mais aux comportements. Le changement profond des valeurs interviendra plus tard, comme résultat du changement de comportement, et non de vision du monde. Les tribus virtuelles nomadiques se développent plus vite et plus intensément aux marges de notre société. C’est le cas avec les scènes gay ou queer, dans les communautés structurées autour de la musique, mais plus encore au sein des cultures souvent criminalisées de la drogue et des gangs de jeunes. Tout le monde aujourd’hui peut se procurer un portable et un petit ordinateur.
C’est donc surtout parmi ceux qui peuvent difficilement s’offrir autre chose, que cette culture tribale nomadique et virtuelle décolle. Les "outsiders", ceux qui bougent, (donc les nomades) ont toujours bénéficié des changements de paradigmes au cours de l’histoire. C’est une des thèses centrales de "Netocracy".
Quel est votre diagnostic sur l’échec des dot.com et de la nouvelle économie ?
"Netocracy" a gagné la réputation d’être peut-être le seul ouvrage à avoir prédit le crash des dot.com et dénoncé la superficialité de la nouvelle économie. Par chance, nous n’avons jamais été associés à ces termes, quoique je dirige personnellement trois dot.com qui se portent pour le mieux et font des profits, merci ! Dans un registre moins gai pour l’humanité, "Netocracy" avait également prévu l’avènement du réseau Al Qaida. Les autres prophéties contenues dans notre livre attendent leur réalisation.
Quel sera le destin des nations non connectées, celles du tiers monde ?
Nous refusons de penser le monde comme constitué de différents pays. Si l’Etat Nation est réellement mort, nous n’allons certainement pas continuer à diviser le monde en états nations ou en régions géographiques ou cultures comme si c’était encore important. L’informationalisme ne tient pas compte de ces divisions. De la même manière, nous refusons de parler de différents individus et de leurs idées dans "Netocracy". Nous pensons que l’individu est mort avec le capitalisme et qu’il est maintenant remplacé par le "dividu", le netocrate en réseau. Nous avons en fait emprunté le mot "dividu" au philosophe français Gilles Deleuze qui figure parmi nos penseurs favoris.
Qu’en est-il de l’individu dans la société future ?
Nous pensons que l’individu est mort avec le capitalisme. Il est maintenant remplacé par le "dividu", le netocrate immergé dans les réseaux. Nous avons en fait emprunté le terme "dividu" au français Gilles Deleuze.
Un individu est un objet indivisible, tandis qu’un "dividu" peut être séparé en différents éléments, puis réassemblé pour former de nouvelles structures. Nous ne sommes plus des êtres "individuels", mais des dividus existant dans des contextes sociaux différents. Et, plus important, nous avons arrêté d’essayer d’être constamment "toujours le même", fidèle à notre "véritable moi". Au contraire, nous nous délectons à apparaître différents selon les contextes. Nous avons abandonné l’idéal de la personnalité "monopsychique" pour lui préférer celui de la personnalité "schizoïde". Nous chercherons désormais des consultations en schizanalyse plutôt qu’en psychanalyse.
C’est la mort sociologique du sujet cartésien. L’individualisme est propre aux classes sociales défavorisées sous le règne de l’informationalisme. Le netocrate est dividualiste, parce qu’entre l’Individu et le Réseau, il choisira toujours le Réseau. Donc l’objet atomique, le socle cosmique de la société informationaliste est le Réseau et NON l’Individu, comme c’était le cas dans le paradigme cartésien capitaliste. L’individu est donc obligé de se développer en dividu.
Que pensez vous de la nouvelle gauche, par exemple, des thèses développées par Negri dans "Empire", par exemple ?
Je hais "Empire". C’est un si mauvais livre ! Mal écrit, avec une analyse minimale quand elle n’est pas complètement fausse. "Empire" n’est rien d’autre que de l’opium populiste, de la stupidité New Age. Personnellement, j’ai dépassé l’ancienne division gauche-droite. Elle ne fait plus de bien à personne. La gauche restera une vieille gauche de toute façons, tant qu’elle ne se sera pas débarrassé de ses utopismes proto-chrétiens. La seule radicalité à exister réellement est le pragmatisme radical. Il n’existe rien de plus radical que refuser de fuir devant le réel et se confronter au monde tel qu’il est, et non tel qu’on aimerait qu’il soit. Nietszche etait mille fois plus radical que Marx, voyez vous.
Lire "Empire" m’a laissé une sensation de vide et de colère, à cause de ses prétentions et de ses promesses non réalisées. Notre prochain livre montrera de quelle manière le concept d’empire peut et doit être utilisé. Il nettoiera le sol des tentatives malheureuses de ce genre. Dieu que je hais Rousseau ! Il est le pire poison qui ait jamais intoxiqué la philosophie. Revenons plutôt aux véritables philosophes, à Nietszche, à Heidegger. C’est à partir de là que nous pourrons bâtir. Les seuls philosophes décents du XXème siècle à l’avoir compris sont Deleuze et Lacan. Et, parmi les contemporains, le seul qui compte à mes yeux est Slavoj Zizek. La gauche devrait l’écouter plus.
En dehors du champ de la communication, quelle est votre opinion sur les révolutions se produisant actuellement dans d’autres domaines, en biotechnologie par exemple ? Comment réagissez vous à la position très négative de philosophes comme Francis Fukuyama aux USA ou Paul Virilio en France ? La netocratie fournit-elle un socle théorique pour penser les révolutions biologiques ?
Fukuyama et Virilio sont juste de vieux raseurs bourgeois qui défendent des valeurs bourgeoises, datées et mourantes. Ils sont comme les théologiens chrétiens qui rouspétaient et se plaignaient de l’avènement des Lumières au XVIIème siècle. Nous avons besoin de nouvelles Lumières en ce moment historique, ce changement de paradigme au cours duquel les memes prennent finalement la place des gènes. Il s’agirait de Lumières transrationalistes plutôt que simplement rationalistes. J’espère que Sodverquist et moi faisons partie de ce nouveau mouvement.
Je n’ai pas de point de vue négatif ou positif en ce qui concerne la révolution transhumaniste. Je ne crois pas que ce type de jugement de valeur soit encore crédible. Le transhumanisme va arriver. Il est inévitable. Et, comme toujours lors d’un tel changement historique, il sera considéré comme positif par ceux qui en profiteront et négatif par les autres. De vieux emmerdeurs comme Virilio ou Fukuyama ont bien sûr tout à y perdre. Ils ne font qu’exprimer leur intérêt propre. Pourquoi s’ennuyer à les écouter ? Virilio est même catholique. Soyons sérieux !
Qu’est ce que l’éternalisme ? Le mobilisme ? Quelles sont leurs relations et leurs liens avec la netocratie ?
Oh là ! Les définitions de l’éternalisme et du mobilisme figureront dans notre prochain livre et cela prendra à peu près 500 pages pour tout expliquer dans le détail.
Fondamentalement nous sommes des penseurs "paradoxistes", comme Lacan et Deleuze, et nous voyons la nécessité d’introduire un nouveau dualisme en philosophie.
Fondamentalement, nous empruntons cette nouvelle division dialectique à la physique, à la différence entre les mécaniques classique et quantique. Le mobilisme traite du monde tel qu’il est, l’éternalisme du monde tel qu’il est perçu et compris par nous autres, êtres humains, ou par n’importe quelle autre créature pensante d’ailleurs. En cela Kant avait vu juste, phénomènes et noumènes sont deux choses différentes. Et cette division reflète la relation fondamentale entre le mouvement (devenir) et la stabilité (être). Nous partons d’Heidegger, puis nous essayons d’aller plus loin.
Quelle est la relation entre l’éternaliste, en tant que catégorie de netocrate, et l’éternaliste en tant que philosophe ?
Il n’y a pas de distinction. Et cela devrait provoquer pas mal de réactions. En tant que philosophes, Soderqvist et moi ne pensons pas parler comme des individus. Nous nous contentons d’affirmer ce qui doit, de toutes façons, être affirmé. Nous sommes les voix du pouvoir que nous analysons. C’est ce que les philosophes ont toujours été. Il n’existe pas d’extérieur à l’hégémonie, comme tant de romantiques l’ont cru sans jamais pouvoir le prouver. Il n’y a pas d’alternative crédible à la philosophie que nous conduisons. L’éternalisme en tant que philosophie ne peut être distingué de l’éternalisme comme production de vérité au sein de l’ordre social informationnel. Ils sont une seule et même chose.
Y a-t-il un modèle historique propre à l’éternalisme et au mobilisme ? Vous avez écrit une fois : "l’éternalisme voit l’histoire comme une succession de singularités." Y a t-il un lien avec la version "transhumaniste" de la Singularité ?
Les changements de paradigme ont lieu quand la technologie de l’information dominante se voient remplacer par une autre. A ce moment, notre vision du monde est altérée jusque dans ses fondations. C’est ce que provoque l’avènement actuel de l’interactivité. La plurarchie remplace la démocratie, le dividualisme l’individualisme, les memes, le sujet cartesien, les réseaux se substituent à l’Homme, etc.
Du transhumanisme, je dirais qu’il s’agit d’un mouvement social et non d’une idéologie. Je refuse de traiter de tout concept philosophique possédant l’appellation transhumaniste. Il n’existe pas de singularité objectivement vraie, pas plus qu’il n’existe d’être humain objectivement vrai. Pour moi, l’homme est toujours Singe, et le Singe est toujours Fourmi. Tout est question de distance et de perspective. En tant que géographe économique, voyez-vous, j’ai été entraîné à voir les êtres humains sur des images satellites, et de ce point de vue, nous ne sommes rien sinon des fourmis. C’est sain de nous voir de cette manière.
Vous êtes converti au zoroastrisme. Pourquoi ?
Zarathoustra a été le premier éthiciste de l’histoire, lorsqu’il est apparu en Asie centrale il y a plus de 3700 ans. Il fut probablement le penseur et philosophe le plus intelligent ayant jamais existé, avec la possible exception de Nietzsche. Puisque je suis sa tradition, il était normal que je me convertisse et devienne zoroastrien. La seule et unique raison pour laquelle nous considérons le zoroastrisme comme une religion tient au fait que nous autres européens, qui possédons actuellement l’hégémonie, insistons sur l’idée que nos frères grecs ont inventé la philosophie. La vérité est que les iraniens ont enseigné aux grecs pratiquement tout ce que nous avons attribué à ces derniers, qui ont eu la chance de voir leur littérature conservée. Nous devons reconnaître que l’Europe est un nouveau venu dans le concert des civilisations. Que nos racines sont ailleurs. Cela fait partie de notre maturation, je suppose.